À la Une

Écrire

Tu voudrais écrire sans effort

Cela viendrait comme ça

une envie, quelques mots,

un petit ruisseau facile

Ne pas ressasser, rachacher,

rationner, rationaliser

De belles images comme bulles de savon

sans réfléchir, un jeu d’enfants

Pas de coup de scalpel sur le cœur

Ni retour ni repentir

Direct dans la tête

Faut que ça saigne,

cogne, swingue, bouscule

Mais pour ça

il faut beaucoup d’hésitation

Soupeser, remplacer, raturer

laisser mûrir, tout recommencer

Non, ça ne vient pas comme ça

Pas de magie, de claquements de doigts

Tu rames toute seule devant la feuille

associant quelques mots

qui s’affaissent parfois

avant de prendre sens

C’est frustrant, amer, ingrat

Il semblerait que tu ne sois

plus apte à supporter

autant de déception.

Les mots se dérobent

Te voilà muette, privée de parole

sans plus de force pour dire

ce qui ne peut être éludé

Ce qui voudrait se dévoiler

sans être tout à fait

énoncé, saisi,

à peine suggéré

Peut être la prochaine fois

Brasier

À la Une

Peut être qu’il vaudrait mieux

se taire

Peut être faut il cesser

ce ressassement

Gratter la feuille

Griffer des mots comme des signes

Humbles traces

Inutile

Forcément inutile

J’aime l’inutile poésie du quotidien

Voilà c’est tout

Petites phrases petites vies

petites douleurs

Puis disparition, dissolution

dans la brûlure du monde

Le grand incendie de nos vies

Cette gabegie

dont nous nous sommes nourris

Prisonniers volontaires

Victimes expiatoires

Ivres, comme les mouches de vin

Nous voilà tourbillonnant

dans l’amère désillusion de nos désirs !

Papillons aveuglés

par l’incandescence de la destruction

Nos ailes brûlent

Escarbilles dansant autour du brasier final

v

Obsédés textuels

À la Une

Petites pattes mouches

sur la feuille bien rangées

Faire rimer compter les pieds

Vilanelle sixtine quatrain

Franchement qui s’en fout

Personne ne te lira

Faire chanter les mots

n’intéresse qu’une poignée

d’obsédés textuels frustrés

se jalousant un tantinet

prêts à se battre

pour une parution en revue

Ah ce besoin d’approbation

Quel petit aiguillon minable

d’orgueil et de vanité

peut guider l’espèce humaine !

Cette grande aspiration

à la beauté, à l’inutile

Cet amour obsessionnel

de la langue et des mots

Moi je trouve ça beau

-aussi-

Aller plus haut

où l’air se raréfie

Chaque souffle importe

Pas de temps à perdre

en petites mesquineries

Tu va à l’essentiel

car l’oxygène t’est compté

avant de se suspendre

définitivement

au dessus du vide…..

Se reposer

À la Une

Se reposer des mots

Asphyxie du langage

Ne plus dire

Ne plus entendre surtout

°

Se reposer des autres

De leur langue dardée

De leurs phrases

bruyantes et vides

°

Se reposer du langage

Chantonner peut-être

Écouter ce silence

de vent d’oiseaux

de moteurs au loin

Frémissement de feuilles

Pépiements alertes

Presque rien

C’est déjà tellement

Qu’ils se taisent

Leur bouche fatigante

°

Se reposer des autres

De ces bavardages

auxquels on est sommé

de participer sous peine

d’être exclu du cercle

Interaction humaine ?

Certes, mais

Composée de bruit

plus que d’échanges

°

Se reposer d’être

vivant, un instant…

°

une oeuvre de Carole Simard-Laflamme – exposition  » Les robes cathédrales », musée de la Cohue, Vannes 2018

À la Une

Mal être

Il n’y a plus

grand-chose à faire

pour sortir de l’ornière

Tu bouges tu t’enfonces

Alors immobile

tu écoutes la succion

de la boue qui t’avale

C’est écoeurant mais bien réel

Tu te noies dans ton merdier

dont tu es seul responsable

Galimatias d’échecs

de renoncements, de mensonges

Petites lâchetés du quotidien

font la grande marre puante

dans laquelle tu t’asphyxie

Tant pis penses tu

Tant pis pour moi

Ma vie foutue

ma vie déçue

Je m’en vais

Je disparais

Ne suis

plus

À la Une

Adolescence

Parce que moi

je n’aurai pas d’enfant

Pas de travail

Pas d’héritage

Parce que moi

je n’irai pas

à la guerre

à l’abattoir

au turbin

Parce que moi

je ne mentirai pas

Je ne tricherai pas

Je n’obéirai pas

Parce que moi

je serai libre

sans attaches

sans patrie

sans devoir

Parce que moi

J’aimerai

je voyagerai

je donnerai

je partagerai

Parce que moi

Je ne posséderai rien

ni maison ni famille

Parce que moi

je ne serai jamais

comme vous

Sans arrêt

À la Une

Tu cherches sans trouver

L’essentiel est d’être en quête

en mouvement en alerte

Jamais satisfaite jamais

arrivée nul part

Toujours exiger analyser

Ne pas se satisfaire

du banal du facile

Voir plus loin ne pas s’arrêter

L’arrêt c’est la mort

Tu ne trouves rien

que l’immobilité perfide

le dessèchement le cynisme

Si tu t’arrêtes le sel te figera !

Ton corps se brisera

Ton être dissout dans l’absurde

Statut de sel maudite

Femme qui voulu regarder

l’interdit le sacré

Voir c’est savoir

C’est pouvoir se confronter

s’affirmer face à l’absolu

Ne t’arrête jamais !

Absolu en mouvement, ciel océan vent etc…
À la Une

Tricher

Je perdrais mes cheveux

Je vendrais ma peau

Pour toi je tuerais

Je tricherais je mentirais

—————

Je mens déjà

Je mens à tout le monde

Pour te garder

Je fais des croche-pattes

aux policiers de l’âme

Je tire sur les pigeons

Je crie je crache sur eux

Tous ceux qui voudraient

nous enterrer vivants

——————-

Je triche pour te gagner

comme un beau jouet

pour ne plus te perdre

Toi que j’ai cherché

dans les rues si longtemps

——————

Pour toi j’ai tué

et je vais continuer

Sans cesse sans répit

———————

Je triche je mens

Je te garde près de moi

dans mon ventre gelé

dans mon coeur saigné à blanc

———————-

Je te garde prisonnier

de mes sortilèges

je t’avale et te cache

au fond de mon âme

Tu reposera en paix

———————-

Toi l’espiègle, le rusé

le trop aimé

Au fond de mon âme

tu vivra en silence

jusqu’à notre mort

Une oeuvre de Christian Boltanski – exposition « Faire son temps » – Beaubourg novembre 2020

P.S. Les photos sur ce site sont prises par l’auteure, souvent avec un portable, et très rarement des corrections à l’édition. C’est volontaire.

J’ai un blog également, billets d’humeur, d’enthousiasme ou de rage, qui existe (vaillamment) depuis novembre 2016: limbesecrits.over-blog.com

Étreindre

À la Une

Le poème reviendra-t-il

te hanter tandis que

le monde s’en lave les mains

Touche moi pas

Bas les pattes

Pas de bisous doux

Câlins incertains

Allez poésie

radine toi donc

qu’on goûte

la douce hérésie

d’être en vie

On n’en a pas fini

avec la vie

L’amour le rêve

Viens plus près

Murmure moi

de beaux mots

enlacés serrés

Des phrases insensées

qui respirent

la beauté éphémère

dont on parle

puis qu’on oublie

Viens m’étreindre

le coeur et les reins

Plus près encore

Je hume ton odeur

Je lèche ta peau

Nos corps liés

gerbes de blé

emmêlés à jamais

Une oeuvre de Najia Mehadji

Sans contact

À la Une

Cette vacance, ce vide

Une vacuité forcée

Obligé de ne rien faire

Suspendu entre deux rives

au dessus d’un gouffre

dénué de sens réel

Ne pas y tomber

C’est tout ce qu’on demande

Se protéger de l’autre

Horrible devoir de distance

Rester dans son terrier

comme en hibernation

Rêver de grands espaces

d’océan, de forêt, de désert

Rêver de courir danser

chanter à s’en péter la voix !

Étreindre enfin, être étreint !

Toucher l’autre, être touché

Nos corps, nos désirs restreints

Autant de nœud, de concrétion

qu’on veut défaire, délier

Une respiration à plein poumons

S’abandonner enfin à l’autre

Donner recevoir

de la chaleur humaine

Cette société où l‘on se touche

si peu, croyait-on

devient « sans contact »

sans chair, ni peau ni salive

Sans sexualité donc

Un écran invisible, étanche

déjà nous sépare

Nous retranche

du monde organique

Stupeur

À la Une

Figés dans la stupeur

muets, immobiles

On entend craquer

les coutures de l’univers

S’affaisser les illusions

avec lesquelles nous vivions

S’effriter les certitudes

sur lesquelles nous avions

appris à compter

L’air pur et les petits oiseaux

d’accord, mais qu’adviendra t il

de notre société dite « moderne » ?

Sauver sa peau

Passer le premier

Écraser les autres

Sur- vivre sur

le dos des plus pauvres

comme on le fait déjà

depuis longtemps ?

Attendre, les mains liées

Attendre, ne pas trop penser

Être obligé d « être »

au lieu de s’agiter

d’agir croyait -on,

Avant…

Voilà la difficulté, la vraie

Ré-apprendre à  » être « 

À la Une

Pauvre langue

Ta pauvre langue

sept fois retournée

dans ta gueule

ne suffira jamais

à raconter ce moment

où on a laissé crever

tous ceux qui gênaient

la progression de l’économie mondiale

Les vieux les malades

Les immigrés les déclassés

Mords la donc

ta langue, ridicule bavardage

qui n’arrive à dire

ni la beauté ni

l’horreur de ce monde

Pauvre aède empoté

face à la tectonique des plaques

L’effondrement de ta pensée

vaut bien celle

de la société du spectacle

Ce monde là

À la Une

La fin du monde,

de ce monde là

en tout cas.

On se met à rêver

de plus de sobriété.

Les rues vides,

le silence soudain,

nous font peur.

Plus rien pour

se distraire de soi-même.

C’est terrible, puissant.

Une apocalypse ralentie,

sans voiture sans bruit.

Le meurtre du capitalisme.

Mais d’abord celui

des plus démunis.

Nous le savions.

Resteront les plus forts ?

Un cauchemar alors

nous fait lentement

crier dans le vide.

Déception

À la Une

Tous les jours

tu as l’impression

de remettre à plus tard

quelque chose d’important

quelque chose à accomplir

Mais tu ne sais pas

ce que ça peut bien être

Et tous les jours

tu es déçue

de ne rien avoir mené

jusqu’au bout

Le bout ou le but

étant incertain

rien n’est atteint,

et tu n’étreins

aucune certitude

Tous les jours

ce sentiment de défaite

Poussière

À la Une

N’ayant plus de mots

pour parler du beau

Je me jette énervée

sur la serpillière mouillée

Agir enfin, du concret !

Laver le sol de la cuisine

te donnera peut être

l’idée de quelques phrases

bien senties, du vécu

en temps réel

genre le désespoir alerte

de la ménagère de plus de….

Hélas l’aspirateur ne crache pas

de poésie furieuse

Les chiffons sont déjà

sales et dégrisés

Tu soulèves la poussière

te donnant l’illusion

d’une activité frénétique

mais tout retombe

dans la même inertie

Tu aurai dû t’abstenir au final

écrire fait moins de bruit

et tu n’aurais pas

si mal au dos maintenant

Temps immobile

À la Une


Immobile
au bord


A l’extrême pointe
du vide
prêt à sauter
ou pas

Immobile
statufié

Dans l’attente
l’oubli
ou le déni
peut être

Immobile
en tension

Réfléchir au temps
que cela prend
pour s’extraire
de sa gangue névrotique

Léger frémissement
devant l’ampleur
de la tache

Un début
une fin
un commencement ou
un aboutissement

Une résolution du pire au pire

Immobile
Le passage du temps
comme un horizon
éternel
Jamais atteint

Immobile
tu vis
à peine
encore

À la Une

Ensevelie

Tous ces mots

qui s’accumulent

m’ensevelissent peu à peu

Tous ces mots

qu’on agite dans le vide

le vide de la pensée

Faire de jolies phrases

Barrages contre la houle

Digues face au vent

le grand vent de néant

Rimes futiles cris de souris

balbutiements inutiles

Tout dire rien faire

Rien dire mais le faire bien

la langue crachote

Ses bribes de silence

deviennent des briques

qu’on se prend dans la gueule

Et ça recommence

à piailler à chuchoter

Pas dire pas taire

non plus on ne peut

Alors encore grapiller

une queue d’idée une étincelle

Rien plus rien deux fois rien

J’aligne la phrase

les mots m’étouffent me bouffent

ça part en vrille

pour ne pas dire pire

Vidée à sac à sec

La langue m’arrache

m’empêche m’empêtre

Pas sortir les mots en trop

Les mots pas vraiment beaux

Plus dormir

À la Une

Tu ne dormira plus jamais

Les nuits sont trop longues

Les paupières te brûlent

Ton corps se retourne en tout sens

Rien à faire ça ne vient pas

Plus jamais tu ne dormira

Ainsi le ressassement

qui t’occupe sera sans fin

Plus de différence

entre le jour et la nuit

C’est la même lutte avec

l’ennui et l’angoisse

Plus jamais de répit

à l’insoutenable gravité

d’être vivant

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Taire

À la Une

Se taire, écouter

Oiseaux, cascade

Frisson de feuillage

Fermer les yeux

S’endormir sous les étoiles

Se taire, écouter

Le silence n’existe pas

Bourdonnement affairé

Chute d’une branche

Un chien aboie

Quelqu’un rit

Se taire, écouter

La lente dérive de ton esprit

vers les souvenirs

Tant de temps

et si peu encore

Se taire, écouter…

Jardin

À la Une

J’erre dans un jardin

sans aucune lumière

Je sais la beauté des fleurs

Je sais la beauté des fleursJe sais la beutéJeJ

mais je ne peux la voir

Je connais leurs parfums

mais le souffle me manque

pour respirer leur fragrance

J’erre dans un jardin

aveugle, insensible

Je tâtonne, me griffe, me blesse

Mon sang laissera un petit

ruisseau rouge et gluant

tandis que je continue encore

et encore à m’enfoncer

dans ma nuit sauvage

Combustion

À la Une

Tout brûle

Tes illusions

Ton sang ta maison

Tout brûle

s’achève disparaît

Enfin libre

Léger sans rien

Tout brûle

détruit autour de toi

Tu crois pouvoir

t’échapper du brasier

Ce n’est plus possible

Te voilà prisonnier

du feu que tu as

contribué à allumer

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À la Une

Ridicule

Ridicule petit poème

Tu veux jouer le bohème

mais tout contrôler quand même

La censure, la maîtrise

ça te connaît

Ne rien lâcher trop

ou alors avec dignité

avec la classe des bien-nés

Non, s’abandonner

ce n’est pas ton genre

Ridicule petit poème

tu rimes à la traîne

parce qu’il faut en plus

que l’on t’aime

que l’on te flatte et t’apprécie

Mais au fond de toi

tu sais bien que tu ne vaux pas

toute cette admiration

Ce respect, cette amitié

tu ne les mérite pas

Ridicule petit poème

Tu te sens usurpateur

d’une place qui ne te revient pas

Tu sais qu’un jour

tu sera démasqué

C’est ta plus grande peur

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